Gloire au Père

( Ce post sera sujet à une relecture. Merci. )

=> Le bureau d’Adrian, La paye hebdomadaire

L’aristocrate se glissa dans le couloir silencieux avec une grâce féline. Comme à l’habitude, il ne croisa personne. Le personnel était efficace et discret. On le craignait, malgré l’affection que les plus anciens employés du manoir lui portait. Pour la vieille gouvernante et son majordome, il restait un enfant doux et sensible. Ironie douce-amère . . . Un courant d’air frais lui effleura le visage. Il ferma les paupières, face à cette brise bienvenue. Un délicieux frisson remonta le long de son échine.

Dehors, une pluie torrentielle, qu’il avait prédit, avait commencé à tomber. D’où ce qu’il était, sous le porche de pierre, protégé des éléments, il regarda la nature se déchaîner. Mais sa résolution ne faiblit point et d’un pas sûr, le châtain traversa les jardins en direction du bâtiment légèrement en retrait. La beauté des plantes ne le captiva pas ce coup-ci, alors que l’eau chaude ruisselait sur sa chevelure presque blanche et sur ses vêtements sombres. Rapidement, il franchit les derniers mètres qui le séparaient de son refuge.

La chapelle n’était guère déserte, à son grand étonnement. Une silhouette féminine priait, couvée par le regard bienveillant du révérend O’Connor. Adrian zigzagua parmi les bancs de bois et alla s’agenouiller aux côtés de la femme qui le dévorait d’un air d’adoration.

« Bonjour Mère. »

Le jeune homme déposa un baiser sur la joue rouge d’Isleen. Les mèches rebelles de la chevelure du fils caressèrent le visage de la femme. Heureuse, cette dernière reprit ses prières. L’influent chef de mafia entama le signe de croix et son regard croisa celui du prêtre qui le fixait avec une expression triste et emplie de pitié.

***

Ave, Maria gratia plena :
Dominus tecum ;
benedícta tu in muliéribus ;
et benedíctus fructus ventris tui, Jesus.
Sancta Maria, Mater Dei,
ora pro nobis peccatóribus,
nunc et in hora mortis nostræ.

Le jeune Lynley tremblait de tout son être. Il l’avait finalement fait. Il avait donné l’ordre qui avait condamné à son insu, son ignoble paternel et ses demi-frères. Lui, simple bâtard, régissait maintenant l’une des plus importantes famille de l’aristocratie anglaise. Sa nausée augmenta et le châtain se précipita aux latrines pour se soulager de son maigre dîner.

Il était jeune et inexpérimenté. Le point de non-retour franchit, il doutait. Désespéré, l’Irlandais se précipita à la chapelle nouvellement construite pour aller implorer la clémence de Dieu et le pardon du révérend-père. John O’Connor l’accueillit avec gentillesse et douceur.

Dieu avait guidé ses pas. Le Très Haut l’avait éclairé sur la situation. Il avait fait ce qu’il fallait.

***

PATER NOSTER, qui es in coelis,
sanctificetur nomem tuum.
Adveniat regnum tuum.
Fiat voluntas tua sicut in coelo et in terra.
Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.
Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.
Et ne nos inducas in tentationem: sed libera nos a malo.

Adrian laissa tomber sa plume sur le livre de registre avec un profond soupir. Tout était prêt. Il ne manquait que son autorisation. Il avait scruté les moindres détails, les moindres problèmes possibles. Mais son hésitation le retenait. Cet homme froid qu’il s’apprêtait à tuer était son père. Quel lien partageaient-ils ? Devait-il quelque chose à l’infecte créature qui avait rabaissé sa mère à un statut équivalant celui d’une putain des bas-fonds ?

La boisson ambrée et son goût amer descendit le long de sa gorge. Une bénédiction des dockers, cette bouteille de fort. Ça lui éclaircissait les idées. L’église était déserte à cette heure. Et peu la fréquentait, dans ce coin perdu de l’East End. Mère ne se rendrait pas compte de son absence. La vieille gouvernante lui avait promis de veiller sur elle, sur cette « pauvre Isleen » qui n’avait plus tous ses esprits.

Parcourant les documents pour une dernière fois, le métisse sentit ses mains se mettre à trembler. Dégoûté de lui-même et de son manque de confiance, il repoussa sa chaise et se leva. Il quitta le bureau dissimulé au fond de la salle et parcourut la nef en examinant pour une énième fois les vitraux. L’adolescent indécis alla se laisser tomber aux pieds du gigantesque crucifix.

« Mon Père, guidez-moi, dites-moi ce que je dois faire. »

***

GLORIA PATRI et Filio et Spiritui Sancto.
Sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in sæcula sæculorum. Amen.

L’enfant examina attentivement le bijou. La croix celte, finement travaillée l’ensorcelait. Du haut de ses huit ans, le bâtard de Lord Lynley senior toisa le prêtre qui lui faisait signe de garder l’objet. Pourquoi cet homme d’Église lui offrait-il un cadeau ?

« Garde-la mon garçon, tu la mérites amplement.

- Pourtant, je ne crois pas en votre Dieu.

- Je te demande juste de le laisser te protéger, de le laisser tracer ton destin. »

Les doigts fins et sales du gamin resserrèrent leur prise sur la croix et passèrent le cordon de cuir autour du cou svelte.

***

Ces souvenirs restaient frais dans sa mémoire. Le jeune noble baissa les yeux, à regret, et, avec la présence chaude de sa mère blottit contre lui, il entreprit de réciter ses prières. Le regard de révérend ne le quitta pas, même lorsqu’il abaissa ses paupières pour se couper du monde. Il le sentait, perçant sa carapace, mettant son âme à nue.

Autant se recommander à Lui pour savoir quel serait le châtiment pour l’impie qu’il était.