La paye hebdomadaire

Le Asherton d’une très jeune vigntaine d’année maudit dans son esprit l’époque de ses quatorze ans. Il l’avait dans le sang depuis cet âge-là . . . Putain de nicotine! La fumée s’empara de son espace vital, venant inévitablement de lui-même. Le nuage picottant envahit ses narines et rejoignit sa gorge, vulnérable. Edward se mit à tousser bruyamment dans le couloir paisible malgré lui. C’était de plus en plus pire, son problème d’envergure prenait de l’ampleur à une vitesse incroyable.

* Ça va me tuer! Ça va me tuer! *

Le jeune homme exagérait peut-être un peu, tout de même . . . Un mouvememt machinal le força à reprendre une autre bouffée de cette infâme cigarrette qu’il tenait au bout de ses doigts fins. Le tueur à gages ne se contrôllait plus !

* Arrêtez-moi par pitié ! *

Instinctivement, il recracha la fumée du tabac entre ses lèvres mais manqua son coup et avala la majorité du nuage grisâtre et opaque. Edward se figea avec horreur tandis que la fumée descendait dans sa trachée, jusqu’à ses poumons.

Quelques instants plus tard, ce fut l’asphyxie totale. Edward toussa plus fort encore que la fois précédente. Il éteignit du mieux qu’il put sa cigarrette tout en s’étouffant complètement et dans son geste bascula vers l’avant, allant s’écraser contre la porte lui faisant face. Edward glissa jusqu’au sol, paralysé par son manque d’air, qu’il essayait justement de rattraper. Sa poitrine n’avait jamais fait si mal. Ses yeux s’emplirent de larmes et il continua de tousser ses trippes.

La porte contre laquelle il était adossé s’ouvrit et Edward, incapable de respirer, tomba à l’intérieur de la salle.

« Mais qu’est-ce que tu fous-là ? ! T’es venu pour que je te payes ou pour que je planifie ton propre enterrement ? ! ? »

À travers la buée dans ses yeux, Edward distingua le visage de son éternel employeur, Adrian Lynley en personne, le regardant d’un air exaspéré.

« Bon . . . Bon . . . jour . . . Pa . . . tron . . . !, s’efforça de dire le jeune homme, réussissant enfin à trouver un brin d’air pur. Belle jour . . . née, n’est-ce . . . pas . . . ? »

Edward se releva hâtivement afin de mieux paraître devant son employeur. Même lorsqu’ils étaient jeunes, le jeune homme avait toujours eu beaucoup de respect envers Adrian, et cela n’était pas vraiment parce que l’aîné était le fils du chef de la mafia irlandaise . . . Du point de vue d’Edward, Adrian Lynley n’avait jamais eu de bonnes relations avec son paternel . . . Asherton n’avait débattu ce sujet de conversation que très peu de fois avec Adrian. Ce dernier ne semblait pas apprécier les moments où ils abordaient ces conversations, finissant toujours par un silence gêné ou bien par Elizabeth qui changeait de sujet. Ellie n’était pas au bureau ce jour-là. Elle devait sûrement se reposer avec Abygaëlle, être allé rendre visite à la veuve Asherton ou quelque chose dans ce genre-là . . .

Bref, Edward était allé s’occuper d’un certain député encombrant. Ces derniers temps, ses malencontreuses victimes avaient en majorité été des hommes reliés à la politique. Il n’y avait plus aucun doute, la mafia irlandaise était bel et bien une organisation anarchique, bien décidée à régner à sa manière dans l’East End et, éventuellement, à travers tout Londres et peut-être l’Angleterre elle-même. Mais Edward n’était pas du genre à avoir de l’ambition. Il suivrait Adrian et Électre partout où ils se rendraient, il était bien clair sur ce point cependant.

Son regard était perdu dans la grande fenêtre en arrière du bureau de Lynley lorsqu’il entendit son patron lui adresser la parole afin de lui poser une question à propos de son accomplissement matinal. Edward releva la tête et haussa vaguement des épaules. D’après lui, il n’y avait pas grand chose à dire à propos du député. Mais puisqu’Adrian insistait, il pouvait facilement lui faire un compte-rendu.

« Bah, c’était comme d’habitude, quoi ! Les Anglais sont si patétiques! Vous aviez bien choisi le gars, boss. Un petit élancé, encombrant . . . Et qui ne pouvait juste pas s’arrêter de parler, vous savez ? C’était néanmoins un homme influent. Au risque de me répéter, vous aviez bien choisi. »

Adrian le regarda. Ses doigts ne cessèrent de pianoter sur le bureau. Edward sut que son meilleur ami n’était pas intéressé par CE genre de détail. Asherton non plus d’ailleurs. Il en parlait pour dire quelque chose, tourner autour du pot mais inconsciemment, nerveusement.

« En tout cas . . . reprit Edward. Tout s’est très bien passé, comme à l’habitude. Je suis allé l’attendre chez lui, ou plutôt sur le toit de son voisin. Il est sorti environ trente secondes à l’avance. L’innocent ! Il n’avait que trois gardes du corps. Et personne ne pense jamais de protéger le dessus de la tête du mec . . . »

Tuer quelqu’un d’un toit était en quelque sorte la marque du jeune sniper. Edward était toujours enchanté par le comportement des politiciens. N’étaient-ils pas sencés réaliser qu’ils étaient menacés ces derniers temps, par un excellent tueur à gages venant d’En Haut ? Eh bien, non. Et c’était ce qui rendait le métier si rigolo vers la fin du travail.

« C’était si drôle ! J’ai miré puis tiré un coup extraordinaire. Laisse-moi te dire que tes scientifiques me façonnent des balles . . . Je les adore ! Bref, vous auriez dû voir la tête de ce pourri voller en morceaux, c’était génial ! Beaucoup, beaucoup de sang. Les gardes du corps étaient si déboussolés ! Des passants dans la rue étaient horrifiés. Personne ne m’a vu, c’est inévitable. Ce qui m’impressionne à tous les coups, c’est que la balle aurait pu venir de n’importe où. En tout cas. Un autre de fait. Y a-t-il un heureux prochain sur votre liste, my Lord ? »

Toujours aussi poli, Edward attendit la réponse d’Adrian. Il repensa soudain en fixant la pluie la fameuse nuit de juillet 1883, celle où il avait tué quelqu’un pour la première fois. Oh bien sûr, Edward n’avait pas réagi aussi sadiquement qu’aujourd’hui : il avait été abassourdi les premiers jours et sur le coup, il s’était enfargé dans le tapis du couloir et avait manqué de se casser le nez. Mais depuis quelques années, il était devenu totalement sans sentiments pour ses victimes. Il ne pouvait cependant pas s’empêcher de repenser, à chaque fois qu’il mirait, à sa première victime. Sa mère ne l’avait jamais su. Mais dernièrement, il lui avait envoyé une lettre pour lui expliquer la vérité au sujet de feu Lord Brian William Asherton . . .

Edward revint à la réalité lorsque Adrian se déplaça dans un coin de la salle pour aller refaire le plein de wisky et revenir s’asseoir à son bureau.

( Je suis réellement désolée du retard ¬_¬ J'espère que ça ne se reproduira plus . . . )

Tout en fixant la flamme d'une des rares chandelles du bureau, le jeune aristocrate écouta le rapport de son tueur à gages personnel. Edward s'enflammait, racontant avec maints détails son meurtre matinal. Le cadet palabrait avec passion. Adrian le laissa parler. La joue appuyée contre sa paume, il regardait fixement la bougie, s'intéressant aux nuances de couleur que produisait le liquide pâle qu'il faisait tournoyer dans son verre. La mince lueur éclairait sa surface de travail et découpait les ombres avoisinantes des meubles de bois.

Le châtain de 22 ans releva les yeux, tentant de déchiffrer les émotions qui traversait son interlocuteur. Joie ? Tristesse ? Folie ? Avait-il créé un monstre à son image ? Ne trouvant guère de réponses à ses questions, il se leva et alla reprendre un verre. Probablement le dernier de la journée, du moins, si aucun autre événement perturbateur ne venait déranger sa tranquillité d'esprit. Le jeune tueur à gages s'était tu, laissant sa dernière question en suspens. Devait-il lui répondre ?

La plus simple des politesses envers un ami l'obligeait. Poussant un profond soupir, Adrian saisit un second verre qu'il emplit à moitié de whisky. Les deux contenants cristallin en mains, il retourna s'asseoir à son bureau. Il posa sa nouvelle charge en face de Lord Asherton et lui fit signe de ne pas se gêner pour se servir. Après tout, un breuvage de cette qualité ne se trouvait pas à tous les coins de rues.

« Non, Edward, il n'y a personne d'autre dont la mort me semble nécessaire pour le moment. En vérité, ce malheureux défunt avait osé insulter ma mère en ma présence lors d'une de ces soirées chics et galantes où je me dois d'être présent. . . Tu ne peux savoir à quel point cela m'horripile. Que ferions-nous pas pour la bonne cause » déclara-t-il d'un ton posé.

Le jeune homme avait pris soin de mesurer ses paroles. Pensif, il se retourna pour regarder à son tour à l'extérieur. Le ciel grisâtre typiquement londonien s'apprêtait à déverser une pluie torrentielle prête à ensevelir la population urbaine.

* Il ne manquerait plus que cela . . . Qu'on ait droit à un exemple concret de l'immersion de l'Atlantide . . . Enfin, les scientifiques en seraient ravis. *

Laissant ses pensées sarcastiques de côté, il pivota vers Edward.

« Alors, comment va Abygaëlle ? A-t-elle apprécié mon dernier cadeau ? J'avais songé à l'amener au théâtre. On y joue en première la pièce Docteur Jekyll et Mister Hyde. À ce que l'on dit, c'est une véritable allégorie significative sur la tendance de notre temps à l’hypocrisie sociale. Mais, je ne suis pas certain qu'à trois ans la pièce la passionne ardemment. Qu'en penses-tu Edward, c'est ta fille après tout dont il est question ??? »

Edward entendait clairement son patron répondre à sa question, mais replogeait lentement dans ses pensées. Il sentit son estomac se nouer lorsque l’image d’un Asherton Senior lui faisant dos devant un énorme feu lui parcouru l’esprit.

Son regard vide se raviva lorsque Adrian prononça le nom d’Abygaëlle et lui fit part de son offre. Une pièce de théâtre ? Pas mal après tout ce qu’il avait offert à la fillette . . . Des robes, des jouets, des peluches se faisant de plus en plus énorme . . . C’était sans fin !

Le visage d’Edward se plissa. Adrian marquait un point contre lui-même en demandant au tueur à gages si la pièce qu’il avait en tête serait acceptable pour la petite.

« Vous avez raison, Mr. Lynley. Je doute fort qu’Abygaëlle apprécie ce genre d’histoire . . . Mais ne pensez pas que je refuse ce que vous lui proposez ! Il serait néanmoins plus sage d’attendre l’apparution d’une autre pièce, n’est-ce pas ? »

Il se demanda alors ce que pouvait bien faire Elizabeth à ce moment-même. Est-ce que tout allait pour le mieux ? Bah, il n’avait pas à s’inquiéter après tout. La jeune veuve Andrews avait toujours eut fort caractère, ce qui, parfois, l’inquiétait légérement . . .

Cette dernière pensée le fit sourire. Il baissa les yeux et regarda ses chaussures. C’étaient celles que lui avait donné sa mère pour son vingtième anniversaire. Ils ne s’étaient pas reparlé depuis qu’il lui avait envoyé la fameuse lettre lui révélant enfin la vérité sur son défut de mari. Edward sentit une mêlée de sentiments s’entasser dans sa gorge.

Que lui arrivait-il ? Des remords ? !

Ce fut alors que l’on cogna à la porte du bureau. Une fois de plus, Edward retomba des nuages avec un sursaut discret. Adrian vint pour se lever, mais le tueur à gages lui fit signe de ne pas se déranger et se dirigea vers la porte afin d’aller ouvrir. Tout en tourant la poignée, le jeune homme entendit une petite voix flûtée s’exclamer de l’autre côté :

« Nous sommes déjà venues ici, maman ! C’est le bureau de tonton Adrian ! »

Edward essquiça un mince sourire et ramena vers lui l’élégante porte, découvrant un visage radieux en face de lui. La rouquine lui manifesta une grande joie en lui décrochant un sourire éclatant.

« Bonjour Elizabeth, lui dit-il. Ça va ? demanda Edward, même s’il savait qu’il était totalement inutile de poser cette question. »

Il se pencha ensuite à la hauteur de la fillette qu’elle accompagnait. Abygaëlle leva ses grands yeux pétillants vers le jeune homme qui la fixa en retour.

« Bonjour papa ! fit-elle joyeusement. »


(Ellie, si tu veux t'emmener, c'est mainteant que tu peux !^^)

(J’arrive! Je vois que j’étais attendue!)

Elizabeth cogna trois petits coups brefs et secs sur la vieille porte en chêne, où il y avait, incrustés à l’intérieur, deux ailes en ében, surmontées d’une croix en érable posée au centre. Autour, un ouvrier avait, selon les ordres dictées par Adrian, gravé quatre croix chrétiennes magnifiques, semblables à celle qu’il portait à son jeune cou presque blanc. Ellie posa une main distraite sur les jolis cheveux bouclés et soyeux de sa fille, qui étaient aussi roux que les siens avec cependant une nuances doré. La porte s’ouvrit en grand, laissant voir le visage adoré d’Edward. Elizabeth lui adressa un de ces sourires qui lui était réservé seulement à lui.

«Je vais très bien. » dit-elle en voyant son amant se pencher vers leur fille qui faisait son bonheur. Encore une fois Elizabeth esquissa un petit sourire en coin en se souvenant les instants qui avait suivi la naissance d’Abygaëlle. Ils avaient bien choisis le prénom de la petite qui voulait dire «Father’s joy». Edward prit dans ses grands le petit paquet qui lui tenait lieu de fille.
«Papa, tu sais tante Addie, elle nous invite à souper ce soir, j’ai très hâte d’y aller, j’espère que je vais pouvoir jouer avec son bébé. Toi, est-ce que tu viens avec nous ? Aller dis oui, s’il te plaît !»

Edward posa ses yeux bleus sur ceux de la mère de son enfant. Il n’était pas encore au courant, Elizabeth venait tout juste de recevoir une lettre de sa sœur lui priant de lui faire l’honneur de sa visite et de celle de sa fille.

Abygaëlle apercevant Adrian assit derrière son bureau descendit des bras de son père et courra le rejoindre en s’assoyant sur ses genoux avec enthousiasme.

«Je venais pour te dire que ma sœur, Adelaide nous invite, Je ne sais pas si tu te souviens d’elle, enfin elle a dix-neuf ans et viens juste d’avoir son bébé, m’a-t-elle écrit. Si tu veux tu peux venir ça va lui faire plaisir. Et ne t’inquiète pas la plus vieille ne sera pas là.»

Ellie sourit au souvenir qu’elle savait que trop présent dans la mémoire de son amoureux. Il y avait deux ans, Ann, alors âgée de vingt ans, l’avait invité elle, sa fille et le père de l’enfant. Cela avait été une catastrophe, il se serait rendus à l’échafaud qu’Edward aurait fini en meilleur état.
«Alors ça te dis ?» demanda-t-elle en observant du coin de l’œil Adrian qui embrassait sa fille sur les joues, et cette dernière qui éclatait d’un grand rire.

Il leva sa tête châtaine vers le plafond en soupirant. Edward se remémora avec mépris sa dernière visite chez les O’Sullivan. Cela avait tourné au cauchemar ! L’aînée des frangins d’Elizabeth, Ann, lui avait tombé dessus comme un cyclone. Il ne pouvait pas dire qu’elle avait été violente, mais ses propos choquants étaient restés gravés dans la mémoire du jeune homme. Bref, il avait passé une des soirées des plus longues de son existance, assis aux côtés d’Elizabeth, et essayait de garder son calme malgré toutes les insultes à son adresse qu’il avait reçu pendant deux bonnes heures. Il ne se souvenait pas avoir autant transpiré que ce soir-là . . .

Tandis que leur petite fille riait à gorge déployée sur les genoux de son parrain adoré et sous le regard perçant d’Adrian, le visage d’Edward se plissa. Malgré le fait qu’Elizabeth tentait de le rassurer en lui assurant que sa grande sœur Ann ne serait pas de la partie à l’invitation d’Adelaide, le jeune Asherton hésitait encore.

« Écoute ma chérie, cette dernière soirée avec ta famille fut un désastre total. Je crois que nos familles ne sont pas faites pour se rencontrer . . . Je suis très mal à l’aise face à cette situation, et tu le sais. »

Elizabeth lui jetta un regard insistant, qui voulait clairement dire : Edward Asherton, mal à l’aise ? Vous voulez rire ? !

Prenant les mains de sa compagne dans les siennes, il soupira de nouveau.

L’image de son père étendu sur le sol dans une flaque de sang, une balle dans le crâne à la hauteur de sa tempe, lui traversa brusquement l’esprit.

Puis la voix d’Adrian Lynley gronder dans la pièce, le faisant sursauter. Edward leva les yeux vers Elizabeth. Cette dernière, devenue livide de surprise, avait le regard rivé sur son associé en furie, qui lui criait quelque chose ayant rapport avec la religion – ou du moins ce fut ce qu’Edward saisit en gros . . .

Le regard de Lord Asherton s’arrêta plutôt sur la petite Abby, n’osant plus bouger, la croix en argent dans ses mains minuscules. Elle pleurait silencieusement, comme elle avait l’habitude de faire lorsqu’elle était triste. Il regarda ensuite Adrian se figer et se mettre à s’excuser comme jamais auprès de la fillette qui le serra contre elle pour lui pardonner, tandis qu’Elizabeth se précipitait au bureau de Lynley en lui criant quelque chose en retour.

Edward ne bougea pas, restant de marbre à la situation. En fait, il se demanda si l’affection que portait Adrian envers Abygaëlle était plus grande que celle qu’il donnait à sa propre fille, remettant sérieusement en question son rôle de père.

Ses épaules s’affaissèrent lorsqu’il pensa invraisemblablement :

* Serais-je . . . un . . . mauvais père ? *

Elizabeth savait parfaitement bien qu’Edward ne voulait pas y aller, mais elle considérait importante cette « réunion » de famille avec Adelaide, son mari et son bébé fraîchement né. Elle ne le forçerait cependant pas à venir contre son gré, car elle savait que si elle le forçait, il aurait un visage de déterré.

En entendant Adrian lui hurler qu’elle ne devait pas « dénigrer la religion aux yeux de sa fille », Elizabeth sentit une bouffée de haine lui monter au visage. Elle adorait Adrian, et elle ne se fâchait que rarement contre lui, mais quand c’était le cas elle venait dans une colère atroce.

« Adrian Lynley, il n’y aura jamais personne qui me dira comment élever Abygaëlle, surtout pas toi, est-ce que c’est clair? » Sans lui laisser le temps de répondre, elle continua sur la même lancée : « Si ma fille revient un jour d’ici en me sortant toutes les causes de la religion chrétienne je te garantis que tu n’es pas mieux que mort. Pour ce qui est de la phrase « la religion est l’opium du peuple », saches que l’homme ayant dit cela est Karl Marx. Cet homme, contrairement à ce qu’on dit, n’était pas contre la religion, il était même pour. Mais effectivement la religion endort les gens pour mieux les donter. Tu devrais savoir ça puisqu’on parle ici d’opium! Et puis quand Abygaëlle aura l’âge elle pourra choisir d’être croyante ou non ce sera son choix, mais en ce moment elle n’a que trois ans et aux dernières nouvelles c’est moi sa mère et tu n’es pas son père. »

Reprenant son souffle enfin, Ellie était passée du rouge cramoisi au blanc comme les cierges de son associé en moins de dix secondes. Sans attendre la réponse, elle contourna le bureau du jeune homme et prit sa fille par la main. La petite fille avait regardé sa mère pendant qu’elle parlait et avait laissé courir librement ses larmes sur ses petites joues dodues, sans aucune gêne.

« Viens Abby, on s’en va. » dit-elle à la petite fille.

Elizabeth souleva Abygaëlle qui avait l’air hésitante pour la prendre et la déposer sur sa hanche droite.

(And yes, we are back in buisness !!!! Je suis content de te revoir, Adrian !)


Edward resta perplexe un moment. Il regarda d'un air incertain les pièces d'argent que son patron venait de lui remettre avant de le mettre à la porte, sans mot dire.

Hochant de la tête pour se remettre les idées en place, il rejoint d'un pas rapide sa chère Ellie et sa petite Abygaëlle. Puis il se figea. Qu'était ce bruit sourd qu'il venait tout juste d'entendre ?

* Nan . . . Ce n'est probablement que mon imagination ! *

Il se tourna vers Elizabeth qui lui adressa un léger signe de la tête, lui demandant ce qu'il avait.

" Ce n'est rien, Ellie, lui dit-il. "

* Ma foi, elle a encore l'air pompée, je ne devrais pas trop l'aborder . . . *

Il se passa une main dans les cheveux et respira un bon coup. Il se mit soudain à penser à sa mère et à la lettre qu'il lui avait envoyé. Edward, sceptique, se dit qu'il serait peut-être bon d'aller lui rendre une petite visite.

* Comment va-t-elle, le prendre, oh mon Dieu ? J'espère que . . . *

Ses pensées noires furent interrompues par Elizabeth qui reprenait la parole au sujet du dîner du soir même.

(Yeaaah! I'm so glad to see you two again! Welcome back! Don't worry Addy, you’re totally forgiven.)

Elizabeth attendait impatiemment Edward derrière la porte en chêne qu’elle avait refermée brusquement en la faisant claquer avec sa main de libre pour bien démontrer qu’elle était dans une colère atroce. Sa fille accota sa petite tête rousse et bouclée sur son épaule tout en continuant à verser quelques larmes qui allèrent s’estomper dans les replis de sa blouse blanche.

«Pourquoi est-ce que tu es fâchée contre tonton Addy, maman? Est-ce qu’il a fait quelque chose de mal, il a fait un mauvais coup?» La fillette avait l’air perplexe, elle doutait fortement que son cher tonton Addy ait pu faire un quelconque mauvais coup.

«Oh, oui on peut dire qu’il a fait quelque chose de mal, mais il l’a fait sans penser aux conséquences. Abygaëlle, est-ce que Adrian t’a déjà parlée de Jésus?» Elizabeth avait laissé la question qui lui brûlait les lèvres sortir, n’en pouvant plus. Voyant que sa fille baissait les yeux et commençait à jouer en triturant son pendentif en argent, la jeune femme rajouta, levant le menton de sa fille tranquillement: « Aller dis-moi la vérité, Abby. Je te promet que je ne me fâcherai plus, d’accord?»
«Il m’a dit qu’il croyait au vraiment monsieur qui est mort sur la croix qu’il porte au cou. Mais tu n’es pas fâchée, dis? Addy va pouvoir encore me garder, han maman?» Abygaëlle s’inquiétait apparemment de l’avenir de son parrain dans le domaine du gardiennage, et Elizabeth s’empressa d’éteindre cette crainte au grand soulagement de la petite fille qui reposa sa jolie tête avec dévouement sur l’épaule da sa mère adorée.

Edward ressortit enfin du bureau de son patron et ami quelques instants plus tard, avec en main de la monnaie. Celui-ci avait l’air inquiet et restait figé sur place juste devant la porte fermée qui étouffait difficilement les gémissements d’Adrian.
«Tout va bien Eddy?» demanda-t-elle, se faisant rassurer par son amant sur son état psychologique. Puisque, comme il le lui avait affirmé, il allait bien elle reprit leur discution au sujet de l’incompatibilité de leurs familles respectives.

«Tu dois venir ce soir, Edward. C’est important pour moi et pour ma sœur, sans compter que ce serait impoli de ta part de refuser son invitation. Et puis si tu n’es pas capable de la sentir tu n’auras qu’à parler à son mari, il est charmant, je suis certaine que tu l’apprécierais. Son petit garçon viens juste de naître, elle l’a appelé Frederick en l’honneur de mon père. Allez, s’il te plaît!» Ellie gratifia le jeune homme de beaux yeux doux pour tenter de le convaincre. «Viens au moins pour Abygaëlle, ça lui ferait plaisir.» Elle savait parfaitement bien qu’aux yeux d’Edward rien n’égalait le bonheur de sa fille.

(Suite au Stairway to Heaven!)